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Indignation en Espagne : non, le viol en réunion n'est pas un abus sexuel, c'est un viol !

"Le viol en question" (1/2)

par Maria Cornaz Bassoli

 

L’Espagne et le cas de « la Manada »

 

Les femmes espagnoles sont descendues dans les rues de toutes les grandes villes du pays, de Barcelone à Madrid, de Valence à Séville, pour crier leur indignation au son des slogans « yo si te creo » (« moi je te crois ») et « no es abuso es violacion » (« ce n’est pas un abus c’est un viol »).

 

Au cœur de la contestation, un jugement rendu le 26 avril 2018 par le Tribunal de Navarre dans une affaire où cinq jeunes hommes étaient accusés d’avoir violé collectivement une jeune femme de 18 ans lors fêtes de San Fermin à Pamplune en 2016.

 

Le Tribunal, a décidé de requalifier les faits en simple abus sexuel, et a condamné les accusés à 9 ans de prison contre plus de 20 ans requis par le Parquet.

 

Cette décision a suscité une large indignation de l’opinion publique comme des milieux politiques, toutes sensibilités confondues.

 

Les faits

 

L’histoire fait froid dans le dos.

 

Cinq hommes, âgés de 24 à 27 ans, dont le groupe de messagerie WhatsApp s’appelait « la Manada » (« le Meute »), font la connaissance d’une jeune étudiante de 18 ans lors des célèbres fêtes de San Fermin à Pampelune. Vers 3 heures du matin, alors que la jeune femme indique aux cinq hommes qu’elle souhaite retourner à sa voiture pour se reposer, ils décident de l’accompagner.

 

Sur le chemin, ils entrainent la jeune femme dans le hall d’un immeuble et, la sommant de se taire, l’encerclent. Tétanisée, la jeune femme se laisse faire. D’après le jugement, elle a subi « au moins » neuf pénétrations (par voie bucale, vaginale et anale), sans préservatif. L’un des hommes filme en partie les faits et partage la vidéo sur le groupe WhatsApp. Avant de partir, ils volent le téléphone portable de la victime.

 

Lors de leur procès, les accusés affirmèrent que la victime avait été consentante, bien qu’ils n’aient pas été en mesure d’expliquer comment s’était manifesté son consentement. La victime affirma quant à elle à plusieurs reprises qu’elle n’avait pas été consentante mais que, en état de choc, elle n’avait pas opposé plus de résistance.

 

Le jugement

Le Tribunal, dans un jugement de près de 300 pages, a considéré que les faits dénoncés par la victime étaient établis. Plus encore, il a reconnu que les « les pratiques sexuelles furent réalisées sans le consentement de la victime, qui se vit soumise ». « Il est indéniable que la victime se trouva soudainement dans un lieu étroit et isolé, encerclée par cinq hommes plus âgés et plus forts qui l’impressionnèrent, la rendant incapable de toute réaction » ajoute-t-il.

Pour autant le tribunal a considéré que ces faits ne pouvaient pas être qualifiés de viol, en l’absence de violence ou d’intimidation, conditions requise par le code pénal espagnol (voire notre encadré)

 

Une vive indignation

Ce jugement a suscité des réactions des mouvements féministes, et plus largement des femmes espagnoles, dans la rue et sur les réseaux sociaux, qui entendent bien faire de la question du viol un débat public.

 

Le déroulement des débats avait déjà provoqué de vives réactions lorsque les magistrats avaient jugés recevable comme élément de preuve le rapport d’un détective privé engagé par un des accusés, portant sur les mœurs de la victime après les faits.

 

Mais le jugement paraît inacceptable pour les femmes et les féministes espagnoles. Cristina Almeida, avocate, remarquait dans une interview à la chaîne de télévision La Sexta : « quand on vient te voler, la police te recommande de ne pas résister, et là, ce que le magistrats nous disent c’est que quand on cherche à te violer, tu dois résister presque jusqu’à la mort pour qu’on te croie ».

 

Altamira Gonzalo, avocate et vice-présidente de l’association de femmes juriste Themis, que nous avons contactée, nous explique qu’à son avis, les faits établis par le jugement sont constitutifs du délit de viol en ce qu’il y a eu pénétration, absence de consentement et intimidation.

 

Ce qui est en cause ici, selon, elle, c’est l’interprétation des faits par les juges : « il y a des faits établis très clairs  et précis et si le raisonnement avait été cohérent, il aurait fallu déduire de ces faits, prouvés, la qualification de viol ». « Ce jugement rappelle les anciennes décisions où l’on exigeait une résistance importante des femmes pour considérer qu’il y avait eu viol, or ici la victime n’a pas résisté. Heureusement d’autres tribunaux du pays ne raisonnent pas de la sorte ». « Cette décision est profondément idéologique et il faut savoir que la région de Pampelune est très conservatrice et que l’Opus Dei y est très puissant. Elle démontre un manque énorme  d’empathie pour la victime » « Les faits sont si brutaux, que cela explique la force de la réaction, spontanée, de l’opinion publique ».

 

A la question de savoir si la loi espagnole devrait être modifiée, Altamira Gonzalo considère que même si la loi est toujours perfectible, le plus dur est de changer les mentalités, en particulier les mentalités des juges. « La formation des juges n’a pas changé depuis de nombreuses années et n’exige aucune connaissance de la vie » précise-t-elle.

 

Un débat européen ?

 

Depuis ce jugement, des voix politiques s’élèvent pour demander une réforme de la loi et ce débat a porté jusqu’au Parlement Européen. Le 2 mai dernier, les députés européens du parti espagnol Podemos ont sollicité la tenue d’un débat sur la dimension européenne du problème. Plusieurs députés espagnols ont demandé aux états membres de prendre des mesures concrètes contre le viol et de définir de façon plus claire l’incrimination de viol, en se mettant en conformité avec la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe. Tania Gonzalez, vice-présidente du groupe Gauche Unitaire Européenne, a proposé de réfléchir à une directive européenne qui « poserait les bases d’une nouveau contrat sexuel entre les hommes et les femmes ». La députée socialiste suédoise Anna Hedh, a rappelé que la Suède était sur le point de promulguer une loi très dure en matière d’agressions sexuelles et que protéger les victimes d’agression sexuelles constituait un défi pour l’Union Européenne. La Commissaire européenne à la Justice, aux consommateurs et à l’égalité des genres, Vera Jourova, a pour sa part appelé à renforcer la protection des femmes.

 

Ce débat européen s’inscrit dans la ligne de ce que propose le projet de la Clause de l’européenne la plus favorisée, c’est à dire de faire de l’Union Europe un moteur de progrès pour une plus grande protection du droit des femmes.

 

Maria Cornaz Bassoli

(Crédit photo : Capture d'écran du compte instagram de l'organisation Assembleafeminista)

 

Ce que prévoit la loi espagnole en matière d’agression sexuelles :

Le code pénal espagnol de 1995 distingue plusieurs délits d’atteinte à la liberté sexuelle des personnes.

Il distingue en particulier l’abus sexuel de l’agression sexuelle :

- l’abus sexuel consiste dans un acte sexuel effectué sans consentement, mais également sans violence ni intimidation ;

- l’agression sexuelle suppose en plus de l’absence de consentement, l’existence de violence ou d’intimidation. Dans le cas d’une agression sexuelle avec pénétration, on parle de viol.