· 

Congés paternité et parental : Le temps des pères !


Le modèle espagnol : en avant toutes !

Dans une loi votée à l’unanimité en juin 2018 par le Congrès, l’Espagne a mis en place un congé paternité de 8 semaines, rémunéré à 100%,  en cas de naissance, d’adoption ou d’accueil d’un enfant. Effectif dès le 1er avril 2019,  ce congé bénéficie aux pères et aux compagnes de mères ayant accouché dans les couples lesbiens. Il consiste en 2 semaines à prendre obligatoirement après la naissance ou l’arrivée de l’enfant, le reste pouvant être pris en une ou plusieurs fois au cours de la première année. Le texte prévoit en outre que la durée sera portée à 12 semaines en 2020 et 16 semaines en 2021, soit l’égal d’un congé maternité.

La revendication d’un congé paternité égal au congé maternité portée de longue date par les féministes espagnoles, a été proposée au législateur par le parti Unidos Podemos.

La droite, initialement opposée au projet, s’est finalement laissée convaincre par un argument économique : « La gauche a avancé que l’égalité entre les homme et les femmes à ce sujet permettrait à l’économie espagnole de ne pas perdre ses dépenses en formation, ni sa main d’œuvre féminine » a expliqué Mariscal & Abogados, un cabinet d’avocats francophone en Espagne qui a répondu aux questions du HuffPos[1]t.

La nouvelle loi espagnole est bien plus généreuse que ce qui existe en France. Chez nous, les pères salariés bénéficient d’un congé de naissance de 3 jours auquel peut s’ajouter, s’il le souhaite, un congé paternité de 11 jours consécutifs, week-ends inclus.  Le congé paternité passe à 18 jours en cas de naissance multiple. Ce système n’est vraisemblablement pas satisfaisant pour les jeunes parents français puisque, selon le service statistique des ministères sociaux cité par Le Monde[2] ,la majorité des parents d’enfants de moins de 3 ans souhaitent un allongement du congé de paternité (56 % en moyenne en 2014 et 2016).

 

Qu’en est-il chez nos voisins européens ?

Le nombre de jours dont bénéficient les pères pour l’accueil d’un enfant varie beaucoup d’un pays à l’autre. Cela va de zéro jour en Allemagne, 2 jours en Grèce ou 4 jours en Italie  à 60 jours obligatoires en Suèdes (9 semaines). La Bulgarie offre  15 jours de congés payés au père à partir de la naissance de l'enfant alors que la mère bénéficie de 410 jours. Toutefois, après le sixième mois de l'enfant, la mère peut céder le reste de ses jours au père.

L’exemple portugais est intéressant en ce qu’il a, dès la fin de la dictature salazariste dans les années 1970, mené une politique familiale favorisant l’emploi des femmes à plein temps, à contrecourant du modèle, en vigueur à l’époque, de la « mère au foyer ». A la fin des années 1990, le congé maternité de 4 mois rémunéré à 100% pouvait être partagé avec le père.  En 2009, alors que l’horizon économique s’assombrissait, le Portugal a poursuivi sa politique en faveur de l’égalité en instaurant un « congé paternel exclusif » de 4 semaines dont deux sont obligatoires, rémunéré à 100%[3]. 

 

A ces congés paternité, s’ajoute parfois un congé parental, souvent moins ou pas rémunéré.

Certains pays ont cependant mis en place des systèmes mieux rémunérés ou prévu l’alternance entre les deux parents pour inciter les pères à prendre ce congé, toujours majoritairement pris par les femmes.

En tête, la Suède offre un congé parental de 480 jours, rémunéré à 80%, que les parents peuvent se partager. Le Portugal propose un congé d’environ 10 semaines rémunéré à 100% qui peut être pris par l’un ou l’autre des parents. Il est allongé d’un mois en cas d’alternance entre les parents, incitant ainsi les pères à prendre ce congé. Si le congé parental partagé est allongé à 6 mois, la rémunération sera alors de 80%. Et des congés complémentaires non rémunérés sont également prévus, allant jusqu’à deux ans. L’Allemagne propose elle un congé parental de 12 mois allant jusqu’à 14 mois si les deux parents en bénéficient et rémunéré à 65% du revenu, plafonné à 1.800 euros. Depuis 2015, les parents allemands ont aussi la possibilité de travailler chacun à mi-temps pendant 28 mois, avec une allocation pouvant aller jusqu’à 900 euros par mois.

A l’inverse de ces modèles plutôt généreux, certains pays rémunèrent peu ou pas le congé parental. Ainsi Malte ne prévoit aucune rémunération en cas de congé parental. Ainsi, l’Italie propose un congé parental de 10 mois, qui peut être allongé d’un mois si le père a pris au moins 3 mois de ce congé. La rémunération prévue n’est toutefois que de 30% du revenu.

En France, le congé parental peut être pris par l’un ou l’autre des parents pour une durée de 1 an, renouvelable 2 fois. Pendant les 6 premiers mois, le parent en congé bénéficie d’une allocation dont le montant maximal est de 396 euros par mois, soit un tiers du salaire minimum. Cette allocation est prolongée 6 mois supplémentaire si l’autre parent prend un congé parental. A compter du deuxième enfant, le congé parental a une durée de trois ans maximum, mais les aides de la CAF ne seront versées jusqu'aux trois ans de l'enfant qu'à condition qu’il soit partagé entre les deux parents : 24 mois au maximum pour l'un et 12 mois pour l'autre parent. Cette incitation à l’alternance entre les parents a été introduite dans la loi en 2014, mais elle semble peu suivie d’effet en raison de la faible rémunération du congé.

 

La rémunération, un facteur déterminant

Face à la diversité des systèmes, une chose est sûre, pour que les pères prennent plus de congé paternité, la rémunération est déterminante. En effet, au delà des habitudes culturelles, la rémunération des hommes étant souvent plus élevée que celle des femmes, une congé pris par le père représente souvent une perte de revenus importante pour le ménage.

Les récentes comparaisons européennes montrent clairement que les politiques ambitieuses en la matière ont été suivies d’effet. Ainsi la Suède, le Portugal et l’Allemagne figurent dans les pays où les pères prennent plus facilement de congé parental, contrairement à la France où 96% des congés parentaux sont pris par les mères[4]

 

Des politiques nécessaires pour l’égalité

Si la question du congé paternité ou du congé parental pour les pères n’est pas une priorité dans tous les pays de l’Union Européenne, il semble pourtant indéniable qu’il s’agit d’un levier un important pour l’égalité femmes – hommes.

En effet, de nombreuses études montrent que les tâches ménagères sont encore en grande partie effectuées par les femmes, et le déséquilibre s’accentue à la naissance du premier enfant[5].  Or le congé parental et le congé paternité permettent aux pères, dès l’arrivée de l’enfant, de prendre une part plus importante dans le temps domestique. Comme le soulignait un rapport de l’IGAS de juin 2011, ils favorisent « une déspécialisation des rôles pour permettre l’émergence d’un autre modèle de division sociale des activités »[6].

Les congés paternels auraient également des effets bénéfiques en faveur de l’égalité professionnelle, en ce qu’il répartiraient le « risque enfant » entre les femmes et les hommes.  En effet, des études ont notamment montré qu’avec ou sans enfants, les femmes étaient pénalisées par le soupçon qui pèse sur elles « d’être avant tout des mères (ou futures mères) désireuses de quitter le marché du travail, temporairement ou définitivement »[7].

Enfin, une politique visant à favoriser une plus grand engagement du père dans la vie domestique et familiale plutôt qu’une garde à l’extérieur permet de lutter contre les stéréotypes et la répartition genrée des tâches. En effet, lorsque les enfants sont gardés par une tierce personne, c’est souvent par une autre femme mais plus précaire[8].  

Or c’est cette direction qui est plutôt privilégiée en France. Comme l’écrit Hélène Périvier : « Depuis 15 ans, l’effort budgétaire a porté sur le développement des modes d’accueil de la petite enfance, ce qui a permis de soutenir le travail des mères de jeunes enfants, mais cela n’a pas encouragé les pères à consacrer plus de temps aux tâches familiales. La politique de congés parentaux est restée ambiguë et les dernières orientations en la matière conduisent à une réduction progressive de ces dispositifs : la réforme de 2014 est davantage motivée par la restriction budgétaire que par l’égalité »[9]

 

Vers une harmonisation européenne ?

Le 24 janvier 2019, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à un accord sur une nouvelle directive, « relative à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée ». Elle consacre le principe d’un congé paternité garanti au niveau européen pouvant être pris à la naissance d’un enfant et devant durer « au moins dix jours ». Il devra être rémunéré, au niveau du congé maladie dans l’Etat membre. Un congé parental d’au moins quatre mois, dont deux non transférables d’un parent à l’autre, pouvant être pris jusqu’aux 12 ans de l’enfant est également prévu. Il devra lui aussi être rémunéré « à un niveau adéquat », à déterminer dans chaque Etat.

Si cette directive constitue une avancée certaine, elle est cependant bien moins ambitieuse que la proposition initiale de la Commission. A l’origine, le congé parental devait prévoir une période non transférable d’un parent à l’autre d’au moins quatre mois. La Commission proposait aussi que ce congé parental soit rémunéré à un niveau « équivalant au moins à ce que le travailleur concerné recevrait en cas de congé maladie ».

Cette proposition a été jugée excessive par plusieurs Etats membres, dont la France. Emmanuel Macron avait notamment déclaré à ce sujet : « J’en approuve les principes, mais c’est une belle idée qui peut coûter très cher et finir par être insoutenable ».

Cette position est regrettable, d’autant que plusieurs pays ayant choisi une politique ambitieuse comme le Portugal ou la Suède, ont démontré qu’un congé parental dignement rémunéré non seulement incitait les pères à le prendre, mais aussi qu’il était soutenable financièrement.

Maria Cornaz Bassoli

 

(Infographie : "Part des pères prenant un congé parental parmi les personnes prenant ce congé")


[1] Congé paternité : l'Espagne fait un pas vers l'égalité parentale, Huffingtonpost.fr, 1 avril 2019

[2] Près de 40 % des Français trouvent le congé de paternité trop court, Le Monde, 17 janvier 2019

[3] Wall Karin, Leitão Mafalda. Le congé paternel au Portugal : une diversité d’expériences. In: Revue des politiques sociales et familiales, n°122, 2016. Exercice de la paternité et congé parental en Europe. pp. 33-50; doi : 10.3406/caf.2016.3161 http://www.persee.fr/doc/caf_2431-4501_2016_num_122_1_3161

[4] OCDE « Parental leave: Where are the fathers? », Mars 2016

[5] Voir par exemple pour la France « Le temps domestique et parental

des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans? »

Clara Champagne , Ariane Pailhé et Anne Solaz, ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 478-479-480, 2015

[6] Egal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et familiales dans le monde du travail, IGAS, Juin 2011.

[7] Enfants, interruptions d'activité des femmes et écart de salaire entre les sexes, Dominique Meurs, Ariane Pailhé et Sophie Ponthieux, Revue de l'OFCE 2010/3 (n° 114), pages 113 à 133

[8] Sur ce sujet, nous vous recommandons l’excellent podcast intitulé « Qui gardera les enfants ? », UN PODCAST A SOI - NUMÉRO 5, Arte radio, disponible ici : https://www.arteradio.com/son/61659648/qui_gardera_les_enfants_5

[9] Hélène Périvier, 2017, « Réduire les inégalités professionnelles en réformant le congé paternité», OFCE policy brief 11, 12 janvier