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Féminicides : la France n’est pas à la hauteur !


Le gouvernement a multiplié les effets d’annonce sur la lutte contre les violences faites aux femmes. Pourtant, le constat est sans appel : une augmentation du nombre de féminicides. Il est aujourd’hui urgent d’adopter et mettre en œuvre de véritables mesures pour endiguer ce fléau, bien plus que les timides actions du gouvernement.

 

L’horreur des chiffres

 

Le nombre de féminicides en France a augmenté de 21% en 2019 par rapport à 2018. C’est le résultat de l’étude nationale relative aux morts violentes au sein du couple, rendue publique le 17 août dernier par le Ministère de l’Intérieur. 40% des femmes mortes sous les coups de leur compagnon avaient subi des violences par le passé, dont 63% les avaient signalées à la police. Et il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg. Les 146 féminicides comptabilisés en 2019 ne disent pas l’ampleur du phénomène des violences conjugales. La dernière enquête « Cadre de vie et sécurité » estime qu’en moyenne, il y a 213.000 femmes victimes de violences conjugales par an[1].

 

Une comparaison avec nos voisins européens montre que le nombre de féminicides en France est certes moindre qu’en Allemagne, mais bien supérieur qu’au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie et aux Pays-Bas[2].

 

Il s’agit d’un échec manifeste de nos politiques publiques, qui souligne l’urgence à adopter et mettre en œuvre des mesures concrètes à la hauteur de cette situation dramatique.

 

L’insuffisante réaction

 

Année après année, on s’émeut de ces chiffres sans pour autant prendre de véritables mesures pour enrayer ce phénomène. « Grande cause du quinquennat », « Grenelle des violences conjugales », on a entendu de nombreux effets d’annonce, mais vu peu de mesures concrètes.

 

Celles annoncées, en novembre 2019, à l’issue du Grenelle des violences conjugales ont déçu. Certaines étaient déjà prévues par la loi, mais pas mises en œuvre (par exemple, la formation des professionnels de l’Education Nationale prévue depuis 2010 ou l’absence de médiation familiale en cas de violences prévue par la convention d’Istanbul ratifiée par la France). D’autres, réclamées par les associations féministes - dont Choisir, depuis longtemps -, ne sont même pas au programme. Pas de formation des policiers et des magistrats, alors qu’une enquête de l’Inspection Générale de la justice de 2019 a révélé que sur 88 cas de violences étudiés, près de 80% des plaintes avaient été classées sans suite. Pas de budget supplémentaire non plus, alors que les associations de terrain (en hébergement d’urgence, notamment) sont débordées et ne peuvent faire face aux besoins des victimes.

 

Pire, les rares mesures concrètes décidées à l’issue du Grenelle tardent à être mises en œuvre, telles que le bracelet anti-rapprochement, qui permet de géolocaliser un conjoint ou un ex-compagnon violent et de le maintenir à distance grâce au déclenchement d’un signal, qui ne pourrait être généralisé qu’en 2021. De même, l’ouverture du 3919, numéro d’urgence, 24h/24 et 7j/7 a pris du retard ; son accueil est limité à la période du lundi au samedi, de 9h à 19h…

 

C’est surtout le décalage avec les conclusions du rapport « GREVIO » de novembre 2019 qui frappe.

 

En effet, ce rapport du groupe d’experts du Conseil de l’Europe, qui évalue la mise en œuvre par la France de la Convention d’Istanbul sur les violences faites aux femmes, considère que « les chiffres liés aux violences faites aux femmes et l’impunité des agresseurs demeurent préoccupants ».

 

Il pointe du doigt de nombreux dysfonctionnements : l’« insuffisance des dispositifs d’hébergement spécialisés destinés aux femmes victimes de violences », l’« insuffisances de la réponse pénale aux violences », la faible utilisation des ordonnances de protection. Il souligne aussi, au sujet des décisions sur les droits de visite et de garde des enfants, que « l’exercice conjoint de la parentalité est un moyen pour l’agresseur de continuer à maintenir l’emprise et la domination sur la femme et sur les enfants ».

 

Ce rapport donne des pistes sur les mesures à prendre, parmi lesquelles « former tous les professionnels, y compris le personnel en contact avec les femmes demandeuses d’asile », « améliorer la collecte de données », « accroitre le budget dédié à la prévention de la lutte contre les violences faites aux femmes et soutenir financièrement les associations spécialisées ».

 

Or, aucune de ces mesures n’est sérieusement mise en œuvre, malgré la nécessité urgente d’un plan d’envergure.

 

Suivons le modèle espagnol

 

A Choisir, dans notre « Clause de l’européenne la plus favorisée », nous appelons à suivre le modèle de l’Espagne, qui, dès 2004, a adopté une loi-cadre contre les violences faites aux femmes abordant ce fléau sous tous les angles : prévention, détection, assistance sociale et juridique, médical, pénal, psychologique et économique. Pionnière, cette loi a notamment instauré des juridictions spécialisées, avec des magistrats formés à cette problématique, mais également la formation des professionnels de santé, de l’éducation, du social, de la police. Elle met en place une aide aux victimes en matière d’hébergement ainsi qu’une assistance sur le plan juridique, économique, psychologique. Elle prévoit leur protection par le bracelet anti-rapprochement, l’éloignement du conjoint violent et les ordonnances de protection, largement utilisées.  La nécessité d’une réponse judiciaire rapide est également prise en compte, exigeant une instruction des dossiers dans les 72 heures suivant la plainte et la tenue d’un procès dans les 15 jours. Et depuis 2019, les victimes qui n’ont pas porté plainte mais dont leur situation est établie par les services sociaux, peuvent également bénéficier de l’assistance aux victimes. 

 

 Quinze ans après l’adoption de cette loi, son efficacité est au rendez-vous et le nombre de féminicides en Espagne a diminué de moitié. Mais c’est le fruit d’une véritable volonté politique et d’un budget conséquent, près de 200 millions par an (contre 79 millions en France pour 2018[3]).

 

A quand une harmonisation européenne par le haut de la lutte contre les violences faites aux femmes ?

 


Maria Cornaz Bassoli

 

(photo DR)

 



[1] CVS 2019 INSEE – ONDRP - SSMI

[2] Eurostat 2017

[3] Selon une estimation du Haut Conseil à l’Egalité (https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-ou_est_argent-vf.pdf)