Hongrie : une nouvelle offensive homophobe et transphobe au cœur de l’Europe
Le gouvernement hongrois de Viktor Orban s’en prend une nouvelle fois aux LGBTQI dans une loi qui interdit la mise à disposition aux enfants de moins de 18 ans des contenus qui montrent ou encouragent le changement de genre ou l’homosexualité. La loi entre en vigueur aujourd'hui.
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Une véritable politique rétrograde du gouvernement Hongrois
Il s’agit d’une tendance de fond en Hongrie depuis le retour au pouvoir de Viktor Orban en 2010, qui met en œuvre une politique visant spécifiquement la communauté LGBT et les femmes.
Ainsi, la réforme constitutionnelle de 2012 a mis en avant « la vertu unificatrice de la chrétienté » pour la nation hongroise et garanti la protection de la vie « dès la
conception », ce qui met en danger le droit à l’avortement. En 2018, le gouvernement hongrois a décidé d’interrompre le financement public des études de genre et de les supprimer de la liste
des diplômes officiels. En mai 2020, il s’en est pris ouvertement aux droits des personnes transgenres, introduisant la notion de « sexe à la naissance » dans les registres d’état
civil, interdisant ainsi l’officialisation de leur transition. En décembre 2020, il a modifié la constitution hongroise pour y introduire la notion de genre et interdire le mariage
homosexuel.
Finalement, par l’adoption d’une nouvelle loi, le 15 juin 2021, le gouvernement Orban va encore plus loin dans la stigmatisation et l’atteinte aux droits fondamentaux des personnes
homosexuelles et transgenre.
Une loi sur le modèle russe
C’est dans le cadre d’une loi visant « à renforcer la lutte contre la pédophilie » que les dispositions sur la « propagande homosexuelle » ont été présentées, faisant ainsi un
lien odieux entre pédophilie et homosexualité.
Comme le rapporte le quotidien Le Monde, ce texte interdira vraisemblablement les publicités montrant deux hommes ou deux femmes s’embrassant, et la chaîne de télévision privée RTL Klub a assuré,
sur sa page Facebook, qu’elle ne pourrait plus diffuser des films comme Le Journal de Bridget Jones, Billy Elliot ou « même certaines parties des adaptations
cinématographiques de Harry Potter ».
Tamas Dombos, un des dirigeants de l’ONG de défense des droits des LGBT Hatter, déclarait au Monde : « il sera par exemple interdit de vendre aux mineurs des livres qui mentionnent
simplement des personnages LGBT ».
La loi prévoit aussi de contrôler et de restreindre l’éducation sexuelle à l’école. Ainsi, elle interdit les cours qui « visent à promouvoir la non-conformité au genre, le changement de sexe
ou l’homosexualité », et soumet les organisations intervenant dans les écoles à un agrément de l’Etat.
Ce texte, qui se présente comme une mesure de protection des mineurs, va inévitablement renforcer la stigmatisation des homosexuels, contribuant à présenter l’homosexualité comme un choix et le
mouvement de défense des droits des personnes LGBTQI, comme de la « propagande » susceptible de « pervertir » la jeunesse. Le fond du discours du gouvernement
ultraconservateur consiste à présenter l’homosexualité comme une orientation non traditionnelle, et même « déviante », dont il faudrait tenir les mineurs à l’écart, par opposition au
modèle hétérosexuel.
L’exemple de la Russie, qui a adopté un texte similaire en 2013, est parlant.
L’ONG Human Rights Watch, dans un rapport de décembre 2018 intitulé « Aucun soutien : La loi russe sur la ‘propagande gay’ met en danger les jeunes LGBT », soulignait qu’il s’agit d’un
exemple typique d’homophobie politique.
L’ONG alertait :
« La loi nuit directement aux enfants en les empêchant d’avoir accès à des informations essentielles et en favorisant la stigmatisation des mineurs LGBT et de leurs familles, a
constaté Human Rights Watch.
La loi de 2013 a contribué à intensifier la stigmatisation, le harcèlement et la violence contre les personnes LGBT en Russie. Par ailleurs, elle a été utilisée pour fermer des services de
référence proposant aux mineurs des informations et un soutien psychologique et pour décourager les groupes de soutien et les professionnels de santé mentale de travailler avec les enfants. Elle
a encore plus implanté l’antipathie envers les personnes LGBT et eu un effet intimidant sur les professionnels de santé mentale travaillant avec des jeunes LGBT, puisque certains psychologues
rapportent qu’ils s’autocensurent pour aborder les questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre. »
Le même rapport explique que la loi russe « a été utilisée à de nombreuses reprises pour fermer Deti-404 (Enfants-404), un groupe en ligne qui offre un soutien psychologique, des conseils et
une communauté d’internautes où les mineurs qui s’identifient comme LGBT peuvent se sentir en sécurité, notamment ceux qui ont subi des violences et des agressions en raison de leur orientation
sexuelle ou de leur identité de genre, réelle ou supposée ».
La Cour Européenne des Droits de l’Hommes a d’ailleurs sanctionné la Russie pour cette loi en 2017, considérant qu’elle portait atteinte à la liberté d’expression et au droit de vivre sans
discrimination, soulignant au passage qu’elle était néfaste pour les enfants.
Une atteinte aux droits fondamentaux
La loi hongroise porte ouvertement atteinte aux droits fondamentaux garantis par les traités internationaux et l’Union européenne. Si la Cour européenne des droits de l’Homme a mis en évidence
l’atteinte à la liberté d’expression et au droit de vivre sans discrimination de la loi russe, il apparaît aussi que la loi hongroise est manifestement contraire à l’article 21 de la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne, qui interdit toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
Par ailleurs, cette loi prive les mineurs d’information sur la sexualité alors que les enfants ont le droit de recevoir des informations factuelles sur la sexualité et la diversité de genre. Le
Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l'éducation a notamment insisté en 2010 sur le droit des enfants à l’éducation sexuelle intégrale, sans discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle ou l’identité de genre. Il a aussi souligné qu’il était nécessaire, dans le cadre du droit à l’éducation, de remettre en question les stéréotypes concernant le genre et la sexualité dans
les établissements scolaires.
Offensive réactionnaire au cœur de l’Europe
Avant le retour au pouvoir de Viktor Orban en 2010, la Hongrie était l’un des pays les plus progressistes de l’Europe postcommuniste : l’homosexualité y avait été dépénalisée dès le début des
années 1960 et l’union civile entre conjoints de même sexe, reconnue dès 1996.
Comment un tel retour en arrière au cœur de l’Union européenne est-il possible ?
Loin d’être un phénomène isolé, cette nouvelle atteinte aux droits fondamentaux, au cœur de l’Europe, démontre les avancées inquiétantes de positions conservatrices et réactionnaires au sein de
l’Union européenne. Et loin d’être le fait de quelques politiciens égarés, cette offensive est le fruit d’une véritable stratégie des ultra-conservateurs, organisés au niveau européen.
Comme l’a très bien démontré Neil Datta, Secrétaire du Forum parlementaire européen sur la population et le développement, dans son rapport Restaurer l’ordre naturel, les ultra-conservateurs se
sont structurés, depuis une dizaine d’années, au niveau européen, notamment dans le cadre du réseau Agenda Europe, réunissant des politiques, des juristes, des théoriciens conservateurs proches
du Vatican. Ainsi, chaque année, un « sommet » réunit entre 100 et 150 militants ultra conservateurs venant de toute l’Europe, afin d’élaborer des stratégies politiques et législatives
contre les droits sexuels et reproductifs, contre les personnes LGBTQI, l’euthanasie et même le divorce.
Le manifeste « Restaurer l’Ordre Naturel », qui semble émaner d’Agenda Europe bien qu’il ne soit pas signé, est dénué de toute équivoque sur ses objectifs en matière de régression des
droits des personnes LGBTQI :
« La promotion de l’homosexualité doit-elle être interdite ? Jusqu’à présent, toutes les tentatives visant à démontrer que l’homosexualité est innée et inaltérable ont échoué. Il faut
donc présumer que les tendances homosexuelles peuvent être acquises, et que la propagande et les exemples pratiques jouent un rôle dans sa progression. Il est donc parfaitement légitime pour une
société de résister à ce type de propagande. En particulier, il est parfaitement légitime et normal que des parents souhaitent que leurs enfants ne soient pas exposés à cela. Il semble donc
légitime et hautement souhaitable d’interdire la propagande homosexuelle, en particulier quand elle est destinée aux mineurs ».
Ce même manifeste énumère les objectifs à court, moyen et long terme, et c’est très parlant. Ainsi, parmi les objectifs à court ou moyen terme, figurent le fait d’empêcher les Etats
d’adopter des partenariats civils pour les personnes de même sexe, celui d’adopter des lois qui interdisent la « propagande » homosexuelle destinée aux mineurs, de supprimer les fonds
alloués aux associations LGBTQI, ou encore, de réguler l’éducation sexuelle à l’école. Les objectifs à long terme affichés par le manifeste sont encore plus clairs : l’interdiction du
mariage homosexuel et de l’adoption par des couples homosexuels et même, l’« adoption de lois anti-sodomie ».
Parmi les plans d’actions évoqués dans le manifeste pour parvenir à ces objectifs, apparaissent le fait de « tourner en ridicule le mariage gay » (par exemple, comme un évident
détournement ayant pour objectif des avantages fiscaux), et celui de concentrer le débat sur « le droit des enfants ».
Les stratégies élaborées en commun, notamment dans le cadre des sommets d’Agenda Europe, sont reprises au niveau national, et leur rhétorique se retrouve dans les discours de l’organisation Ordo
Juris en Pologne, HazteOir en Espagne ou en France, dans les rangs de la Manif pour tous ou de Sens Commun.
Ainsi, en Espagne, l’organisation ultraconservatrice HazteOir est à l’origine du bus « anti transgenre » qui a circulé à Madrid, et dont l’objectif revendiqué était de « dénoncer
les lois (…) qui promeuvent la diversité sexuelle auprès des mineurs, portant atteinte à la liberté d’éducation et aux droits fondamentaux des parents d’éduquer leurs enfants ».
CitizenGo, organisation fondée par HazteOir, s’est développée en France, avec des personnes proches de La Manif pour tous. Elle a adopté la même stratégie en 2017, faisant circuler en région
parisienne un bus contre « La théorie du genre ».
Plus inquiétant, cette rhétorique se retrouve dans les discours de femmes et d’ hommes politiques, y compris en France. Sans réelle surprise, Marine Le Pen a appuyé la loi du gouvernement Orban
sur les ondes de France Inter le 23 juin 2021, en affirmant : « Je pense qu’il ne faut faire la promotion d’aucune sexualité auprès des mineurs ».
Dans les rangs des Républicains aussi, il est régulièrement fait référence à un « lobby LGBT » ou à une « idéologie » dont il faudrait protéger les mineurs. Ainsi, La Manif
pour tous a questionné les candidats aux élections régionales : « Quelles est votre position concernant l’intervention sur l’éducation sexuelle, dans les lycées, d’associations faisant
la promotion de l’idéologie du genre, des revendications des associations militantes LGBT et du planning familial au motif de la lutte contre l’homophobie ? ». Laurent Wauquiez, candidat Les
Républicains, a répondu, faisant référence lui-aussi à une « idéologie » LGBTI : « L’homophobie n’a pas sa place dans notre région, ni dans les quartiers ni dans les écoles.
Mais la légitime lutte contre les discriminations ne saurait servir de prétexte à un endoctrinement idéologique de nos enfants. Je réprouve cette délirante « théorie du genre » que Najat
Vallaud-Belkacem défendait en 2011 avant d’en nier l’existence... ».
En définitive, ces discours ultraconservateurs portent leurs fruits en Europe, et notamment en Europe de l’Est, comme en Pologne, où la Cour constitutionnelle a considéré, en 2019, qu’un
commerçant peut refuser de servir des clients non hétérosexuels au nom de sa « liberté de conscience ». En Pologne également, 88 localités ont adopté des résolutions dans lesquelles des services
privés peuvent être refusés à des personnes LGBTQI, se revendiquant comme des zones « LGBT FREE ». Antérieurement, les ultra-conservateurs avaient également été à l’initiative du
référendum ayant interdit le mariage homosexuel en Croatie et en Slovénie, ainsi que du référendum en Roumanie, invalidé par la suite.
Face à cette offensive conservatrice européenne, il est urgent et nécessaire d’organiser une défense des droits de personnes LGBTQI au niveau européen.
Que peut l’Union européenne ?
Au sein de l’Union, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer le caractère homophobe et discriminant de la nouvelle loi hongroise. Ursula Von der Layen l’a qualifié de « honte »,
et 17 pays membres ont signé une lettre appelant au respect de valeurs fondamentales de l’Union européenne.
Pour autant, les traités qui proclament des valeurs de non-discrimination, notamment au regard de l’orientation sexuelle, ne prévoient que peu de mécanismes pour sanctionner un Etat qui bafoue
ces valeurs.
Une saisine de Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) peut être diligentée par la Commission européenne et si elle conduit à une condamnation de l’Etat en question, elle peut donner lieu à
des sanctions financières. Il s’agit toutefois d’une procédure longue et complexe, et les décisions de la CJUE sont souvent mal appliquées par les Etats.
Un autre levier dont dispose l’Union européenne et celui de suspendre les fonds alloués par l’Union à la Hongrie. Si cette solution a pu être évoquée, Emmanuel Macron s’est dit opposé à toute
procédure de sanction financière.
Enfin, il existe bien un mécanisme qui permet de suspendre certains droits d’un Etat membre contrevenant aux valeurs fondamentales, dont le droit de vote au sein du Conseil européen. Cependant
cette procédure apparaît quasiment impossible à mettre en œuvre car elle nécessite, entre autres, d’être approuvée à l’unanimité au Conseil européen. Or, on sait déjà que la Hongrie peut
compter sur l’appui de plusieurs alliés, dont la Pologne. Une procédure de ce type est par ailleurs déjà ouverte contre la Hongrie pour d’autres violations, mais demeure au point mort…
Dès lors, si les institutions se révèlent faibles à l’heure de sanctionner les atteintes aux droits fondamentaux, la seule issue est de renforcer les droits et les garanties de leur effectivité
au niveau européen. C’est précisément ce que propose La clause de l’Européenne la plus favorisée que nous soutenons et qui comprend les droits LGBTQI, dont nous demandons l’harmonisation
par le haut en Europe.
Maria Cornaz Bassoli
Secrétaire nationale de Choisir la Cause des femmes
(Photo Violaine Lucas, ©Hongrie, été 2022)
Pour aller plus loin :
Sur les effets de la loi russe :
https://meduza.io/en/feature/2021/07/01/families-are-the-most-vulnerable
Sur les droits LGBT en Europe :
https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/21/europe-de-l-est-la-guerre-du-genre-est-declaree_6030359_3210.html
Sur Agenda Europe :
https://www.epfweb.org/sites/default/files/2020-05/online_rtno_fr.pdf
(copiez-collez les liens)