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De « no es no » à « sólo sí es sí » : la grande transformation de la loi pénale espagnole

De « no es no » à « sólo sí es sí » : la grande transformation de la loi pénale espagnole« Le viol en question » (2/2)

Le 26 avril 2018, en Espagne, l’affaire dite de « la Manada » (« la Meute ») avait provoqué l’indignation de l’opinion publique et des institutions politiques, donnant lieu à de nombreux mouvements sociaux dans les rues de toutes les grandes villes du pays.

Pour rappel, le Tribunal de Navarre avait requalifié des faits de viol en réunion en simple abus sexuel, s’appuyant sur le Code pénal espagnol en vigueur à l’époque, qui exigeait une condition de violence ou d’intimidation pour qualifier l’agression sexuelle ou le viol.

(Pour en lire plus sur ce sujet : https://www.choisirlacausedesfemmes.org/2018/05/09/indignation-en-espagne-non-le-viol-en-r%C3%A9union-n-est-pas-une-agression-sexuelle-c-est-un-crime/ )

En réaction à cette affaire, mondialement médiatisée, l’expression « sólo sí es sí » (« seul un oui signifie un oui ») est devenue une véritable devise de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Quatre ans après, cette devise s’est transformée en un projet de loi, soutenu par la majorité des députés espagnols.

Ainsi, le 26 mai 2022, la ministre de l’Égalité, Irene Montero, défendait devant le Congrès espagnol une loi visant à réformer le Code pénal en vigueur depuis 1955, par l’introduction de deux concepts clés : le consentement exprès des victimes de violences sexuelles, et la suppression de la distinction entre abus et agression sexuelle.

Ce projet de loi, qui doit encore recevoir l’approbation du Sénat, a été approuvé par le Congrès avec 201 voix pour, 140 contre et 3 abstentions.

Selon Irene Montero, plébiscitée par les actrices et acteurs de la lutte féministe en Espagne et dans toute l’Europe, l’approbation de cette loi constitue « une étape décisive pour changer la culture sexuelle de notre pays, loin de la culpabilité et de la peur, pour abandonner la culture du viol et créer une culture du consentement ».  

Cette loi a été présentée au Congrès après près de 11 mois de procédure législative intense menée entre les partenaires de la coalition et les groupes d’investiture, créant de nombreux affrontements entre les deux partis majoritaires du gouvernement (le Parti socialiste ouvrier espagnol, et le Parti populaire).

Que change-t-elle en pratique ?

La loi « sólo sí es sí » supprime dans le Code pénal espagnol les conditions d’intimidation ou de violence requises aujourd’hui pour qualifier « l’acte sexuel avec pénétration, effectué sans consentement », de viol.


Ainsi, l’agression sexuelle et le viol sont caractérisés dès lors que l’acte sexuel est effectué en l’absence de consentement explicite.  

Le juge ne devra donc plus vérifier que la victime de violences sexuelles a été contrainte, par la violence ou l’intimidation, à subir un acte sexuel. Avec cette nouvelle définition, si l’absence de consentement exprès est démontrée, cela suffira à caractériser l’infraction pénale.

Qu’en est-il de la présomption d’innocence ?

L’argument principal des opposants à cette loi consiste à affirmer que l’introduction dans le Code pénal d’un consentement explicite renverse la charge de la preuve, et fait peser sur l’accusé la charge de prouver qu’il n’a pas commis de violences sexuelles.

Cet argument avait déjà été mis en avant lors des travaux sur la loi espagnole de 2004 sur les violences sexistes.

Victoria Rosell, déléguée du gouvernement contre les violences de genre, a souligné lors des débats parlementaires :  « aucune définition légale ne peut renverser la charge de la preuve car elle ne peut affecter le droit constitutionnel à la présomption d’innocence ».

En pratique, il incombera toujours au procureur ou à la partie civile de prouver l’agression sexuelle ou le viol.  L’accusé ne pourra cependant plus  se prévaloir de l’absence d’intimidation et violence, ou de l’absence de refus de la victime pour que soient écartées ces qualifications.

Et sur les autres aspects de la loi ?

Cette nouvelle réglementation intègre par ailleurs une série de mesures essentielles dans la lutte contre la culture du viol et pour garantir le droit des femmes à leur liberté sexuelle, et notamment :

- La reconnaissance des victimes de violences sexuelles, d’exploitation sexuelle et de traite aux fins d’exploitation sexuelle.

- Le concept de violences sexuelles s’agrandit, et inclut désormais les mutilations génitales féminines et les mariages forcés.

- La soumission chimique devient une circonstance aggravante d’une agression sexuelle, alors qu’elle était jusque-là considérée comme un abus.

- Les meurtres dus à des violences sexuelles seront comptabilisés comme des violences sexistes, pour lesquelles une statistique spécifique est en cours d’élaboration.

- La criminalisation du harcèlement de rue et de la violence numérique.

- La modification du droit pénal des mineurs et la condamnation systématique à une peine accessoire de formation sur l’éducation sexuelle et l’éducation à l’égalité.

- L’introduction d’une aide économique pour les victimes de violences sexuelles qui gagnent moins que le salaire minimum.

- Une éducation sexuelle rendue obligatoire pour toutes et tous, à tous les niveaux d’études.

 - La création de centres de crises ouverts 24h sur 24, et chargés de fournir une prise en charge psychologique, juridique et sociale aux victimes et à leurs familles.

Et ailleurs en Europe ?

La Convention d’Istanbul, ou Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, a été signée par plus de 40 pays européens dont l’intégralité des États membres de l’Union européenne.

Néanmoins, dans ces pays, la réglementation sur les violences sexuelles est loin d’être homogène.

En 2018, Amnesty International relevait que seulement 6 pays de l'Union Européenne (l’Allemagne, la Belgique, Chypre, l'Irlande, le Luxembourg et le Royaume-Uni -aujourdhui sorti de l'UE) reconnaissaient qu’un rapport sexuel sans consentement était un viol.

Pour les autres, un retard considérable est dénoncé, puisque la majorité des législations pénales définit toujours le viol en fonction du recours à la force physique, la menace, la contrainte ou encore l’incapacité des victimes à se défendre.

L’Espagne est aujourd’hui sur le point de rejoindre le modèle des pays nordiques en matière de lutte contre les violences sexuelles et sexistes, et d’égalité entre les genres.

Le Parlement suisse discute par ailleurs actuellement d’une nouvelle définition du viol dans le Code pénal. (https://extranet.amnesty.ch/fr/sengager/petitions/docs/2022/revision-du-droit-penal-en-matiere-sexuelle-seul-un-oui-est-un-oui )

Et en France, qu’attendons-nous ?

Lisa Gordet

(Crédit photo : La ministre de l’Égalité, Irene Montero, et la ministre des Droits sociaux et de l’Agenda 2030, Ione Belarra, en séance plénière du Congrès le 26 mai 2022, Eduardo Parra, EUROPA PRESS)