Inauguration d'une stèle Gisèle Halimi dans les locaux historiques du Procès de Bobigny


Cérémonie de femmage à Gisèle Halimi pour les 50 ans du Procès de Bobigny.
Discours de Maria Cornaz Bassoli, 8 novembre 2022

Je voudrai commencer par vous raconter comment j’ai rencontré Gisèle.
C’était il y a une quinzaine d’années, j’étais étudiante en droit, et je suis tombée par hasard sur la rediffusion d’un documentaire qui retraçait sa vie et ses combats.
Et ce soir-là, j’ai pris conscience que si je pouvais mener la vie que je menais – étudiante rêvant de devenir avocate, seule à Paris, sans avoir à redouter une maternité que je n’aurai pas choisie – c’était parce que des femmes comme Gisèle s’étaient battues avant moi et avaient arraché ces libertés.
Le lendemain je lui ai écrit une lettre, pour lui dire merci. Merci de ce qu’elle avait fait pour les femmes. Et lui dire que je voulais, moi aussi, contribuer ces combats.
Quelques jours plus tard, j’ai reçu un coup de fil et c’est comme ça que j’ai rejoint CHOISIR.
Alors pourquoi je vous raconte ça ?
Parce que c’est un peu ce qu’on fait aujourd’hui, en dévoilant cette plaque commémorative.
On dit merci à Gisèle Halimi, mais aussi à Marie-Claire Chevalier, adolescente, Michèle Chevalier, employée de métro, Renée Sausset, employée de métro, et Micheline Bambuck, secrétaire dactylo, de ce qu’elles ont fait pour changer la condition des femmes.
Mais surtout on inscrit, au cœur de l’ancien Tribunal de Bobigny, l’histoire de nos luttes, pour l’émancipation des femme et pour la première des libertés, celle de disposer de son corps.
Et ça c’est très important.
C’est très important parce que ça nous rappelle que les droit et les libertés qu’on a progressivement acquis ne sont pas tombés du ciel.
Le Président Giscard d’Estaing ne s’est pas réveillé un matin en se disant : il faut que les femmes puissent avorter.
Non.
Ces droits, les femmes les ont arrachés de haute lutte,
Elles se sont levées,
Elles se sont organisées,
Et elles se sont battues.
Et c’est très important pour les générations suivantes parce que ça nous montre que quand on se bat, ça marche.
Et en ça, le procès de Bobigny est exemplaire.
Il est exemplaire parce que des femmes se sont saisies du Tribunal qui les poursuivait pour réclamer Justice.
Ces femmes, sur le banc des accusées, ont levé la tête et ont dit :
Oui j’ai avorté,
Non je ne le regrette pas,
Non, je ne suis pas coupable,
C’est votre loi qui est coupable, qui tue et qui oppresse les femmes.
Et ce procès est historique, parce que les nombreux témoins qui se sont succédés à la barre ont démontré l’hypocrisie et la violence de cette loi, qui était l’outil de l’oppression des femmes.
Ainsi le professeur Milliez, médecin catholique, déclarait qu’il avait considéré que son devoir était d’aider cette femme dans la situation difficile où elle se trouvait. Il expliquait :
« Je ne me souviens que trop de la situation des ouvrières de chez Renault qui donnaient deux mois de salaire à un médecin marron pour faire commencer l’avortement que je terminais douloureusement à l’hôpital, sans anesthésie, parce que mon patron chirurgien, bien que socialiste très mondain, jugeait qu’il fallait que la femme s’en souvienne et nous interdisait de faire le curetage sous anesthésie ».
Et ce procès est révolutionnaire, parce que Gisèle à demandé des comptes à la Justice, et exigé du Tribunal qu’il s’explique :
Pourquoi ce sont toujours les mêmes qui sont poursuivies, les sans-argent, les sans-relations ?
Pourquoi, en métropole, on poursuit des femmes qui ont avorté en prétendant défendre « la vie », alors qu’à la Réunion des femmes subissent des avortements et des stérilisations forcées ?
Pourquoi ce sont 4 hommes qui jugent 4 femmes pour parler de sondes, d’utérus de grossesse et d’avortement ?
Et ce procès est malheureusement d’une grande actualité.
Aujourd’hui, en Pologne, c’est-à-dire au sein de l’Union Européenne, vingt femmes sont poursuivies pour avoir aidé une autre femme à avorter et elles encourent 4 ans de prison.
Aujourd’hui, en Hongrie, c’est-à-dire au sein de l’Union Européenne, un nouveau décret oblige les médecins à faire écouter les battements de cœur du fœtus aux femmes qui souhaitent avorter,
En Italie, chez nos voisins, où l’avortement est légal, on construit des cimetières de fœtus pour culpabiliser les femmes qui avortent et la majorité des médecins font valoir leur clause de conscience,
A Malte, c’est-à-dire au sein de l’Union Européenne, où l’avortement est totalement interdit, les médecins qui le pratiquent encourent jusqu’à 4 ans de prison et 135 d’entre eux ont saisi la justice considérant que cette interdiction « empêche les médecins de fournir des soins immédiats et opportuns et met en danger la vie et la santé des femmes »
Alors la célébration de 50 ans du procès de Bobigny doit nous rappeler combien ce droit est fragile et nous donner la force de continuer ce combat partout où il est nécessaire, et notamment au niveau européen.
Car comment pouvons-nous imaginer une Europe avec des citoyennes qui n’ont pas même le pouvoir de disposer de leur corps et de choisir si oui ou non elles veulent donner la vie ?
Et cette plaque commémorative, que nous dévoilons aujourd’hui, au cœur de cet ancien tribunal, et bien j’aimerais qu’elle nous donne du courage.
Qu’elle donne le courage aux justiciables, quels qu’ils soient, de faire entendre leur voix et leur histoire ;
Qu’elle donne du courage aux avocates et aux avocats de défendre, passionnément, avec le droit, mais aussi avec leurs convictions, pour un monde plus juste ;
Qu’elle donne le courage aux magistrates et aux magistrats d’entendre ces récits et ces paroles.
Parce que la justice que voulait Gisèle Halimi était une justice vivante, qu’il faut sans cesse questionner, sans cesse interpeller et parfois bousculer.
Enfin qu’elle donne le courage aux femmes de continuer à se battre sans relâche et sans concession pour leurs droits et leurs libertés.